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Histoire de l’icône

dimanche 3 mars 2019, par Chantal Legay Gilbert

Quand on contemple une icône, on sent qu’elle nous arrive portée par une tradition millénaire. Son statut d’objet religieux à valeur liturgique d’une part, et d’objet d’art d’autre part nous fascine. Mais d’où vient-elle au juste ? Où est-elle née ? Jusqu’où faut-il remonter dans le temps pour la voir apparaître ? Qu’est ce qui a poussé les Chrétiens à ces représentations alors que la Bible les interdisait ? Où est-on allé chercher les techniques picturales empruntées ? En d’autres termes, où faut-il aller chercher les racines de l’iconographie ?
L’icône est aujourd’hui très présente dans les pays orthodoxes, principalement Russie et Grèce. Mais ce n’est pourtant pas là que nous trouverons les icônes les plus anciennes, celles qui pourraient nous mettre sur la piste d’une réponse à nos questions. C’est étonnamment dans un lieu plus mystérieux que nous les trouverons, dans le désert égyptien du Sinaï, au cœur d’un monastère-forteresse perdu dans un massif montagneux au sud du Sinaï, construit autour de l’an 550 à l’emplacement supposé du buisson ardent. À l’abri de ses murailles hautes de 15m, le monastère Ste Catherine présente une collection de 2000 icônes, dont les plus anciennes remontent au siècle de sa construction, sous l’empereur Justinien.

le Christ

St Pierre

Ces icônes très anciennes ne sont pas peintes a tempera, comme le sont les icônes plus récentes, et comme elles le sont toujours aujourd’hui, mais elles sont peintes à l’encaustique. En effet, si on peint en utilisant des pigments, des terres, des pierres broyées, en utilisant seulement de l’eau pour les diluer, au séchage, les pigments ne tiendront pas, ils partiront sous le doigt. Il leur faut un liant. Ici, c’est l’encaustique qui va leur permettre de tenir. On ajoute aux pigments de la cire naturelle et de la résine. L’inconvénient de cette technique, c’est qu’il faut travailler l’encaustique à chaud.
C’est pourquoi elle disparaîtra à partir du 8 ème siècle au profit de la tempera qui remplace l’encaustique par du jaune d’œuf battu dans de l’eau, ce qui permet de travailler à froid.
En revanche, ces portraits du Christ ou de St Pierre, pour ne citer que deux des plus anciennes icônes, nous rappellent étrangement des portraits apparus quelques siècles plus tôt dans l’Egypte pharaonique finissante. Offrons nous une remontée du temps :

La découverte de la tombe de Toutankhamon avait frappé le monde de fascination ; la richesse de ces cercueils emboités comme des poupées russes et la finesse de leurs somptueux décors avait été une révélation. On a tous en mémoire l’image du masque en or massif émaillé de bleu sombre du jeune pharaon, son regard de quartz et d’obsidienne. Par la momification de son corps embaumé puis bandeletté, protégé par ces cercueils, le pharaon, croyait-on, accédait à l’éternité. Mais ce désir d’éternité est celui de tout homme, et très tôt, les hommes appartenant à la caste supérieure, scribes, grands prêtres, architectes, avaient tenté eux aussi d’y accéder. Dans l’Egypte romaine, ce souhait se démocratise totalement, et l’on retrouve dans la région du Fayoum de nombreuses tombes renfermant des momies embaumées, bandelettées finement et surmontées, en guise de masque funéraire, d’une simple planchette portant le portrait du mort peint à l’encaustique. Ces portraits parlent du désir de vaincre la mort, ils attestent que ces gens-là ont existé. Et l’on comprend que les premiers chrétiens aient repris l’idée que l’image affirme la présence.
Au premier siècle, l’Egypte est évangélisée par St Marc, un disciple et parent de St Pierre. Car après la mort du Christ, ses apôtres et disciples se dispersent dans le monde méditerranéen pour évangéliser les foules (Pierre à Rome, et en Syrie avec Paul, Mathieu en Espagne, Thomas jusqu’en Inde dit-on etc). Tout se transmet oralement, d’homme à homme. Mais peu à peu, les témoins directs de cette histoire disparaissent, aussi va-t-on chercher à fixer leur souvenir dans ces portraits qui reprennent scrupuleusement ce que l’on savait d’eux : St Pierre est toujours représenté comme un homme mûr, barbu, à la chevelure épaisse, grisonnante, le Christ comme un homme jeune, grand et mince aux cheveux mi-longs, souples, encadrant le visage, au regard pénétrant. Certes, la Bible interdisait la représentation de Dieu par l’image, mais puisque son Fils s’était incarné, on pouvait donc le représenter lui, tel que les hommes l’avaient connu.

La tradition de l’Eglise fait remonter les débuts de l’iconographie à la période même du Christ. Elle considère que la première icône aurait été un portrait de la Vierge peint par St Luc lui-même. Et elle place même comme antérieure des représentations acheiropoïètes du Christ, c’est-à-dire « non faites de main d’homme ». Deux récits tirés de textes apocryphes (évangile de Nicomède au 5ème siècle pour le premier) corroborent ces croyances : le premier est celui du voile de Véronique (vera ikon en grec, l’image vraie). Véronique, une sainte femme que Jésus aurait guérie de ses hémorragies, se tient à ses côtés durant la montée au calvaire. A un moment elle tend à Jésus son voile, pour qu’il puisse y essuyer son visage ensanglanté, et se rend compte ensuite que la face du Christ s’est imprimée sur le linge. Le second récit est tiré de la légende d’Abgar, roi de Syrie. Cette histoire ne figure pas dans les évangiles mais on en trouve la trace dans divers textes postérieurs, des archives syriennes et arméniennes entre autres. Ce roi Syrien contemporain du Christ ayant entendu parler des miracles de Jésus lui envoie un messager avec une lettre lui demandant de venir le sortir de la maladie incurable dont il souffre. Jésus ne vient pas le voir car il a trop à faire en Judée, mais il lui aurait transmis un linge dans lequel il aurait essuyé son visage, et qui en aurait conservé la trace, le mandylion. Deux histoires qui se font écho et auxquelles on est tenté d’ajouter une 3ème, celle du St Suaire. Le premier récit marque surtout l’église d’occident, le second, celle d’orient.

On trouve dans les catacombes romaines des peintures chrétiennes représentant des symboles : croix, poisson (le mot grec ΙΧΘΥΣ signifie poisson). Au début du christianisme, ce symbole a été utilisé par les chrétiens pour se reconnaître entre eux. Chaque lettre du mot renvoie à Jésus : "Ièsous Christos Théou Uios Sôtêr" (Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur) ou encore agneau. Elles datent du 2ème au 4ème siècle. On ne trouve pas trace aujourd’hui d’icônes antérieures au 6ème siècle, cela signifie-t-il qu’il n’y en a pas eu ? Nul ne peut l’affirmer, mais il semble peu probable qu’aucune n’ait traversé les siècles. En revanche, on peut supposer que l’interdit de représentation a pesé longtemps ; comme Jésus, les premiers chrétiens étaient des juifs, et ce n’est sans doute pas un hasard si les premières icônes sont trouvées en terre chrétienne, mais géographiquement éloignées du monde juif.

Vierge du 6ème Rome église Santa Maria nova
(Les bustes et mains sont plus tardifs).

Vierge du 6ème Kiev

Ce qui est sûr, c’est que la grave crise iconoclaste qui a secoué le monde méditerranéen par deux vagues entre 726 et 843, a entraîné la destruction d’une énorme quantité d’icônes et l’interdiction d’en peindre. Les peintres fuient vers l’Italie, la Crimée, le Proche Orient. Seules les icônes qui se trouvaient loin de Constantinople ou dans des endroits reculés comme le Sinaï ont eu la chance d’en réchapper. Cette crise survient dans un contexte d’hérésies multiples déjà anciennes (v. note 1), et de peur de glissement dans l’idolâtrie. Le culte des icônes ne risque-t-il pas d’y mener ? Voire d’entraîner dans le paganisme ? On s’interrogeait : les barbares qu’on affrontait parvenaient à vaincre, eux qui s’interdisaient les représentations par l’image, alors que les troupes impériales, précédées des icônes se voyaient défaites. N’était-ce pas le signe qu’il fallait arrêter cet usage des icônes ? L’influence musulmane semble évidente, elle rappelle l’interdit ancien de la représentation. Mais de grandes voix vont aussi s’élever pour défendre les icônes, (Jean Damascène pour la 1ère vague, Théodore-le-Studite et le patriarche Nicéphore Ier pour la 2nde) en s’appuyant cette fois sur les évangiles : En effet, Jésus dans son dernier repas du Jeudi Saint, dut répondre à la question de l’apôtre Philippe : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit ». Jésus lui répondit : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père ». Comment peux-tu dire : « Montre-nous le Père » ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! » (Jn 14,8-10).
Ces conflits apaisés, l’icône a pu reprendre sa place dans le monde chrétien. Et elle nous arrive aujourd’hui avec sa même puissance mystérieuse d’évocation d’un autre monde, celui de la Révélation.

Note 1 : Comme l’arianisme (doctrine d’Arius, un prêtre d’Alexandrie au 4ème s, qui nie l’égalité de substance entre le Père et le Fils, il pense que la nature du Fils est inférieure à celle du Père, le Père étant divin par nature, le Fils étant humain avec une parcelle de divinité seulement). Ou le nestorianisme (Hérésie de Nestorius, évêque de Constantinople au 4ème s.) qui essaye d’expliquer les deux natures dans le Christ, pour cela il affirme l’existence de deux personnes, l’une divine, le Fils du Père, l’autre humaine, le fils de Marie. Il voit dans le Christ une personne humaine (conjointe à la personne divine). Les premiers siècles après JC sont en effet des siècles de questionnement incessants autour de la nature du Christ bien sûr, et autour des rapports entre les personnes de la Trinité.
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